Populations spéciales en bioéquivalence : impacts de l'âge et du sexe
déc., 3 2025
Quand on pense à une étude de bioéquivalence, on imagine souvent des volontaires jeunes, en bonne santé, et surtout : des hommes. Pendant des décennies, c’est exactement ce qu’on a fait. Mais aujourd’hui, cette pratique ne suffit plus. Les médicaments ne sont pas tous métabolisés de la même façon selon l’âge ou le sexe. Et pourtant, des millions de femmes et de personnes âgées prennent ces traitements chaque jour. Si les études de bioéquivalence ne reflètent pas cette réalité, on risque de commercialiser des génériques qui fonctionnent mal pour une grande partie de la population.
Pourquoi l’âge et le sexe comptent dans la bioéquivalence
La bioéquivalence, c’est la preuve qu’un médicament générique se comporte comme le médicament d’origine dans l’organisme. On mesure ça en observant la vitesse et la quantité d’ingrédient actif qui arrivent dans le sang. Mais ce mécanisme dépend de beaucoup de facteurs : la masse corporelle, la fonction hépatique, les enzymes, les hormones… Et ces éléments changent avec l’âge et le sexe.
Les femmes ont souvent un pourcentage plus élevé de graisse corporelle et un taux plus faible d’eau. Cela affecte la distribution des molécules lipophiles. Elles produisent aussi moins d’enzymes comme le CYP3A4, qui dégrade de nombreux médicaments. Résultat ? Une même dose peut donner une concentration sanguine plus élevée chez une femme que chez un homme. Pour les médicaments à marge étroite - comme la warfarine ou la levothyroxine - ce petit écart peut devenir dangereux.
Côté âge, les personnes de plus de 65 ans ont souvent une fonction rénale réduite, un foie moins actif, et une masse musculaire plus faible. Un générique qui marche parfaitement chez un homme de 25 ans peut ne pas être aussi efficace chez une femme de 70 ans. Pourtant, jusqu’à récemment, les études de bioéquivalence excluaient presque systématiquement ces groupes.
Les exigences réglementaires ont changé
Les agences de santé ont commencé à réagir. L’Agence européenne des médicaments (EMA) a publié son guide en 2010, mais il restait vague : il disait simplement que les volontaires « pouvaient » être des hommes ou des femmes. Pas de chiffres, pas d’obligation. En 2023, la FDA (États-Unis) a changé la donne. Son nouveau projet de guide exige clairement : si le médicament est destiné aux deux sexes, l’étude doit inclure environ 50 % d’hommes et 50 % de femmes. Et si le médicament est réservé aux femmes - comme certains traitements contre le cancer du sein - alors il faut exclure les hommes.
Pour les personnes âgées, la FDA demande explicitement d’inclure des volontaires de 60 ans et plus, ou de justifier pourquoi on les exclut. L’ANVISA, au Brésil, va encore plus loin : elle impose un équilibre parfait entre hommes et femmes, et limite l’âge à 18-50 ans. En Europe, on n’est pas encore aussi strict, mais les changements viennent. Un groupe d’experts de l’EMA travaille actuellement sur une mise à jour du guide, prévue pour 2024.
Le message est clair : les études ne doivent plus être des laboratoires pour jeunes hommes en bonne santé. Elles doivent refléter les patients réels.
Les écarts entre les sexes : un problème réel, pas théorique
Des études montrent que les différences ne sont pas qu’une question de théorie. En 2017, une étude sur un médicament anti-inflammatoire a montré une bioéquivalence de 79 % chez les hommes - ce qui, selon les normes, signifie un échec - et de 95 % chez les femmes. À première vue, ça semblait prouver que le générique ne marchait pas chez les hommes. Mais quand on a refait l’étude avec 36 volontaires au lieu de 14, l’écart a disparu. Pourquoi ? Parce que dans les petits échantillons, quelques valeurs extrêmes faussent tout. Les femmes, en général, ont plus de variabilité dans leur métabolisme. Si on n’a pas assez de femmes dans l’étude, on ne voit pas cette variabilité. Et on peut conclure à tort que le générique est mauvais.
C’est pour ça que les experts recommandent maintenant des échantillons plus grands - entre 24 et 36 volontaires - et une répartition équilibrée. Cela permet de voir les vraies différences, et non des artefacts statistiques.
Les défis pratiques : pourquoi c’est si difficile à mettre en œuvre
On comprend l’idée. Mais en pratique, c’est compliqué. Les centres d’essais ont du mal à recruter des femmes. Pourquoi ? Parce que les études demandent souvent des visites fréquentes, des prises de sang, des restrictions alimentaires. Les femmes, surtout celles qui ont des enfants ou un emploi, ont moins de temps. Les sites rapportent que le recrutement équilibré prend jusqu’à 40 % plus de temps.
Et puis, il y a les coûts. Inclure des femmes en âge de procréer, c’est aussi ajouter des contrôles de grossesse, des protocoles de contraception, des documents supplémentaires. Tout ça augmente le budget. Certains fabricants préfèrent donc recruter uniquement des hommes, même pour des médicaments utilisés majoritairement par des femmes - comme la levothyroxine, dont 63 % des utilisateurs sont des femmes. Mais les études montrent que dans 70 % de ces cas, les femmes ont des concentrations sanguines plus élevées. Si le générique n’a été testé que sur des hommes, on ne sait pas s’il est sûr pour elles.
La FDA a réagi en exigeant désormais une justification écrite pour tout échantillon déséquilibré. Cela pousse les entreprises à réfléchir avant de faire des choix arbitraires.
Les bonnes pratiques aujourd’hui
Comment faire une étude de bioéquivalence qui respecte les normes et reste scientifiquement solide ? Voici ce que les experts recommandent :
- Recruter équilibré : si le médicament est destiné aux deux sexes, visez 45-55 % de chaque sexe. Ne vous contentez pas de 30 % de femmes.
- Inclure les personnes âgées : si le médicament est utilisé par des seniors, incluez au moins 10-15 % de volontaires de 60 ans et plus.
- Utiliser la randomisation stratifiée : répartissez les volontaires par sexe et par âge dans chaque groupe d’essai. Cela évite les biais.
- Analyser les sous-groupes : ne vous contentez pas d’un résultat global. Faites une analyse séparée pour les hommes et les femmes. Si les résultats diffèrent de plus de 20 %, cela mérite une investigation.
- Documenter tout : les rapports d’étude doivent inclure les caractéristiques démographiques, les BMI, les antécédents médicaux. L’ANVISA et la FDA exigent ça. Ce n’est pas un détail : c’est une exigence légale.
Les grandes sociétés de recherche (CRO) commencent à adopter ces pratiques. Selon une enquête de 2022, 68 % d’entre elles ont mis en place des stratégies pour recruter plus de femmes. Mais seulement 29 % analysent systématiquement les données par sexe. Il reste du chemin à parcourir.
Le futur : vers des critères spécifiques
Les prochaines étapes vont plus loin. Les chercheurs de l’Académie nationale des sciences aux États-Unis recommandent déjà de créer des seuils de bioéquivalence différents selon le sexe pour les médicaments à marge étroite. Par exemple, pour la warfarine, on pourrait accepter une plage de 85-115 % chez les hommes, mais 90-110 % chez les femmes, pour tenir compte de leur plus grande sensibilité.
Des études récentes de l’Université de Toronto montrent que 37 % des médicaments courants sont métabolisés 15 à 22 % plus vite chez les hommes. Cela ne peut plus être ignoré. Si on continue à utiliser les mêmes critères pour tout le monde, on risque de sous-dosager les femmes ou de sur-dosager les personnes âgées.
La FDA a inclus l’amélioration de la diversité dans ses plans stratégiques pour 2023-2027. Cela ne sera plus une option. Ce sera une obligation.
Que faire si vous êtes patient ou prescripteur ?
Vous n’êtes pas un chercheur, mais vous êtes concerné. Si vous prenez un médicament générique et que vous sentez qu’il ne fonctionne pas aussi bien que l’original - ou que vous avez des effets secondaires inattendus - parlez-en à votre médecin. Cela peut être dû à une différence de formulation, ou à une réponse individuelle non prise en compte dans l’étude.
Les médecins doivent aussi poser la question : « Cette étude de bioéquivalence a-t-elle inclus des femmes ? Des personnes âgées ? » Si la réponse est non, il faut se demander si le générique est vraiment adapté à votre profil.
La bioéquivalence n’est pas juste une question de chimie. C’est une question de justice. Les médicaments doivent fonctionner pour tout le monde - pas seulement pour les hommes jeunes.
Pourquoi les études de bioéquivalence ont-elles longtemps exclu les femmes et les personnes âgées ?
Historiquement, les études de bioéquivalence se sont concentrées sur les hommes jeunes et en bonne santé pour simplifier les données. On pensait qu’ils avaient un métabolisme plus stable, et qu’un seul individu pouvait servir de contrôle pour lui-même. Cette approche était pratique, mais elle ignorait les différences biologiques réelles. Les femmes et les personnes âgées étaient considérées comme « trop variables », alors qu’en réalité, c’était le protocole qui était trop limité.
Les différences entre hommes et femmes sont-elles vraiment importantes pour tous les médicaments ?
Non, pas pour tous. Mais pour les médicaments à marge étroite - comme la warfarine, la levothyroxine, les anticonvulsivants ou certains antidépresseurs - une petite variation peut avoir un impact clinique. Même pour des médicaments courants comme les anti-inflammatoires ou les statines, les études montrent des différences de 10 à 20 % dans la concentration sanguine selon le sexe. Cela ne signifie pas que le générique est mauvais, mais qu’il faut le tester sur les bonnes populations.
Quelle est la taille minimale recommandée pour une étude de bioéquivalence aujourd’hui ?
L’EMA exige au moins 12 volontaires évaluables, mais en pratique, les études modernes incluent entre 24 et 36 participants. Ce nombre permet d’avoir suffisamment de puissance statistique pour détecter des différences de formulation, tout en tenant compte des variations liées au sexe, à l’âge ou au poids. Des études avec moins de 20 volontaires sont considérées comme trop faibles pour garantir la fiabilité des résultats.
Les réglementations européennes et américaines sont-elles compatibles ?
Elles se rapprochent, mais ne sont pas encore alignées. La FDA impose une répartition équilibrée entre hommes et femmes, tandis que l’EMA utilise un langage plus souple. L’EMA dit que les volontaires « peuvent » être des hommes ou des femmes, sans exiger 50/50. Mais avec la révision attendue en 2024, l’Europe devrait adopter des exigences plus proches de celles des États-Unis. Pour les entreprises qui veulent vendre dans les deux marchés, il est plus sûr de suivre la FDA.
Comment savoir si un générique a été testé sur des femmes ou des personnes âgées ?
Les données des études de bioéquivalence sont publiées dans les dossiers d’autorisation de mise sur le marché (AMM). En Europe, elles sont accessibles via l’EMA’s EudraCT database. Aux États-Unis, elles sont sur le site de la FDA. Mais ces documents sont techniques. Si vous n’êtes pas expert, demandez à votre pharmacien ou à votre médecin de vérifier la population étudiée. Une bonne pratique : si la notice ne mentionne pas de données sur les sous-groupes, c’est un signe que l’étude était limitée.
Albertine Selvik
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