Négociations de prix : comment les acheteurs exploitent la concurrence des génériques en santé

nov., 20 2025

Quand un médicament générique arrive sur le marché, les prix chutent. Pas un peu. Beaucoup. Jusqu’à 97 % pour certains traitements quand neuf fabricants proposent la même molécule. Ce n’est pas un effet de bord. C’est un levier stratégique que les acheteurs - hôpitaux, systèmes de santé, caisses d’assurance - utilisent depuis des décennies pour maîtriser les coûts. Mais comment fonctionne vraiment cette pression concurrentielle ? Et pourquoi certains systèmes la manipulent, tandis que d’autres la laissent agir naturellement ?

La règle de base : plus de génériques, moins de prix

Le principe est simple : quand plusieurs entreprises produisent le même médicament, elles se battent pour les clients. Pas par publicité, mais par prix. En 2019, une étude a montré que les médicaments avec six concurrents génériques avaient perdu en moyenne 90,1 % de leur prix initial. Avec neuf concurrents ? 97,3 %. Ces chiffres viennent de données fiables : les prix réels payés par les pharmacies, pas les listes de prix publics. Ce n’est pas une théorie. C’est une réalité quotidienne dans les pharmacies américaines, canadiennes et européennes.

Les génériques représentent 90 % des prescriptions aux États-Unis, mais seulement 22 % des dépenses totales en médicaments. C’est ça, l’efficacité. Un seul générique peut faire chuter le prix d’un médicament de marque de 80 % en quelques mois. Deux, et il tombe à 90 %. Trois, et il devient presque inutile de payer plus cher pour la version originale.

Comment les acheteurs utilisent cette pression

Les acheteurs ne se contentent pas d’attendre que les génériques arrivent. Ils agissent pour les attirer. En France, les hôpitaux passent des marchés avec les laboratoires en exigeant des remises basées sur le nombre de génériques disponibles. Aux États-Unis, les gestionnaires de prestations pharmaceutiques (PBMs) utilisent des algorithmes pour négocier des remises en fonction de la concurrence. Plus il y a de génériques, plus la remise exigée est élevée.

Le Canada a mis en place un système plus structuré depuis 2014 : le prix maximum autorisé pour un médicament diminue automatiquement à chaque nouvel entrant générique. Si un médicament n’a qu’un seul générique, le prix peut rester élevé. Mais dès que le deuxième arrive, le plafond baisse. Au troisième, il chute encore. Ce n’est pas un prix fixe. C’est un mécanisme vivant, qui réagit à la concurrence en temps réel.

Le système américain : négociation par référence

Avec la loi sur la réduction de l’inflation de 2022, les États-Unis ont créé un nouveau système de négociation pour les médicaments de marque destinés aux bénéficiaires de Medicare. Mais ici, la concurrence générique n’est pas directement négociée. Elle sert de référence.

La CMS (Centers for Medicare & Medicaid Services) ne négocie pas avec les génériques. Elle les utilise comme point de départ pour fixer le prix des médicaments de marque. Par exemple, si un médicament de marque a cinq génériques sur le marché, la CMS regarde le prix moyen de ces cinq génériques. Puis elle fixe un prix initial pour le médicament de marque en se basant sur ce niveau. Le fabricant peut proposer des arguments - coûts de production, recherche - mais il ne peut pas ignorer la concurrence.

Ce n’est pas une négociation directe avec les génériques. C’est une négociation indirecte. La concurrence agit comme un ancre. Et elle est puissante. Selon les données de la CMS publiées en juin 2023, cette méthode permet de réduire les prix des médicaments de marque de 30 à 50 % par rapport à ce qu’ils seraient sans génériques.

Les pièges : quand la concurrence est bloquée

Mais la concurrence générique n’est pas toujours libre. Les laboratoires de marque ont des armes pour la freiner. La plus courante ? Les paiements à retardement. C’est quand un fabricant de médicament de marque paie un laboratoire générique pour qu’il ne lance pas son produit. En 2020, la FTC a recensé 106 cas de ce type entre 2010 et 2020. Ces accords ont retardé l’arrivée de génériques pendant des années - et donc maintenu des prix élevés.

Autre piège : le « product hopping ». C’est quand un laboratoire modifie légèrement un médicament - changement de forme, de dose, de forme de libération - pour obtenir un nouveau brevet. Cela repousse la date d’expiration du brevet initial. Entre 2015 et 2020, les laboratoires ont utilisé cette tactique 1 247 fois, selon la FTC. Résultat ? Les génériques ne peuvent pas entrer, même si la molécule de base est vieille de 20 ans.

Et puis il y a les génériques autorisés. Ce sont des versions génériques produites par le laboratoire de marque lui-même. Ils sont vendus à un prix inférieur, mais uniquement par le fabricant. Cela réduit la concurrence réelle : il n’y a pas plusieurs fabricants, juste un seul avec deux marques. C’est de la concurrence fantôme.

Table de négociation où un levier fait tomber un plafond de prix sur un médicament de marque.

Les différences entre les pays

Le système américain est unique. Dans d’autres pays, la concurrence générique est plus directe. En Allemagne, les prix des génériques sont fixés par un système de référence européenne. Si un médicament est moins cher au Danemark, il doit l’être aussi en Allemagne. En France, les prix sont négociés directement avec les laboratoires, mais les génériques sont systématiquement remboursés à un taux plus élevé que les médicaments de marque - ce qui pousse les médecins et les patients à les choisir.

Le Japon, lui, a un taux de pénétration des génériques de seulement 58 %, contre 90 % aux États-Unis. Pourquoi ? Parce que les médecins y sont moins incités à les prescrire, et les patients y paient une part plus importante des coûts. Le système n’encourage pas la concurrence. Il la freine.

Les nouveaux défis : génériques complexes et biosimilaires

Les génériques classiques, comme le paracétamol ou le métformine, sont faciles à copier. Mais les génériques complexes - ceux qui nécessitent des technologies de fabrication avancées, comme les inhalateurs ou les crèmes à base de nanotechnologie - sont plus difficiles à produire. Ils mettent plus de temps à arriver sur le marché. Et ils ne font pas chuter les prix aussi drastiquement.

Les biosimilaires, qui sont des copies de médicaments biologiques (comme les traitements contre le cancer ou la sclérose en plaques), sont encore plus compliqués. Ils représentent seulement 45 % du marché, contre 90 % pour les génériques classiques. Pourquoi ? Parce que leur développement coûte entre 100 et 300 millions de dollars. C’est un investissement lourd. Les laboratoires génériques hésitent. Et les acheteurs ne peuvent pas compter sur la même pression de prix.

Les conséquences pour les fabricants de génériques

Les laboratoires génériques ne sont pas des victimes innocentes. Ils veulent aussi faire des profits. Mais quand un gouvernement fixe un prix bas pour un médicament de marque, ils se retrouvent dans une situation impossible : ils doivent vendre leur produit à un prix encore plus bas, alors qu’ils ont déjà investi dans la production, les essais cliniques et les brevets.

Une étude d’Avalere Health en 2023 montre que dans certains cas, les génériques ne peuvent pas couvrir leurs coûts de production. Résultat ? Ils ne lancent pas le produit. Ou ils le font seulement dans les pays où les prix sont plus élevés. C’est ce qu’on appelle l’effet de refroidissement : la négociation gouvernementale peut, paradoxalement, décourager la concurrence.

En Europe, 78 % des fabricants de génériques disent qu’un environnement de prix prévisible est essentiel pour investir. Mais si les prix changent chaque année selon les décisions gouvernementales, ils retardent les projets. Certains ont même arrêté de produire certains génériques parce qu’ils ne voyaient plus de rentabilité.

Scène en deux parties : un laboratoire trompeur d'un côté, des patients heureux avec des génériques de l'autre.

Qui gagne ? Qui perd ?

Les bénéficiaires de Medicare aux États-Unis pourraient économiser 6,8 milliards de dollars par an grâce à la nouvelle loi. Les patients en France, au Canada ou en Allemagne paient moins pour leurs médicaments grâce à la concurrence générique. Les systèmes de santé gagnent en stabilité budgétaire.

Les perdants ? Ceux qui dépendent des prix élevés pour financer la recherche. Les laboratoires de marque voient leurs marges réduites. Les actionnaires s’inquiètent. Mais les données montrent que la recherche ne s’arrête pas pour autant. Les entreprises continuent d’investir - même dans un environnement plus concurrentiel. La preuve ? Les États-Unis restent le leader mondial en innovation pharmaceutique, malgré une forte pression sur les prix.

Les génériques, eux, ne sont pas en péril. Au contraire. Le marché mondial des génériques devrait atteindre 750 milliards de dollars d’ici 2030. Des entreprises comme Teva, Sandoz et Viatris dominent le secteur, mais plus de 1 200 fabricants participent. La concurrence est fragmentée, mais vivante.

Que faire pour renforcer la concurrence ?

Les systèmes qui réussissent ont trois choses en commun :

  1. Un accès rapide aux génériques : pas de paiements à retardement, pas de product hopping.
  2. Des prix transparents : les données sur les prix réels sont publiques et vérifiables.
  3. Des incitations claires : les génériques sont remboursés à un taux plus élevé, les médecins sont encouragés à les prescrire.

La loi EPIC proposée aux États-Unis va dans ce sens : elle propose de ne lancer la négociation des prix des médicaments de marque qu’après que les génériques sont déjà arrivés sur le marché. C’est simple : laissez la concurrence agir d’abord. Ensuite, négociez si nécessaire.

Le modèle canadien, lui, montre qu’il est possible d’avoir un système qui réagit à la concurrence sans bloquer l’entrée des génériques. Il n’y a pas de prix fixe. Il y a un mécanisme qui s’ajuste. C’est plus intelligent qu’un prix imposé.

Le futur : plus de données, plus de transparence

Le prochain pas ? Intégrer les données du monde réel. Pas seulement les prix. Les résultats pour les patients. Les hospitalisations évitées. Les effets secondaires. Les agences d’évaluation technologique en santé prévoient d’utiliser ces données pour ajuster les prix d’ici 2025.

La transparence sera aussi cruciale. Aujourd’hui, les PBMs aux États-Unis gardent leurs algorithmes de négociation secrets. C’est comme jouer au poker avec les cartes cachées. Si les acheteurs veulent vraiment maximiser la concurrence, ils doivent montrer comment ils négocient. Et pourquoi.

La clé n’est pas de choisir entre innovation et concurrence. C’est de comprendre qu’elles peuvent coexister. Les génériques ne tuent pas l’innovation. Ils la rendent plus juste. Ils obligent les laboratoires à innover pour des maladies réelles, pas pour des variations mineures de molécules déjà connues.

Pourquoi les génériques sont-ils si peu chers ?

Les génériques ne coûtent pas cher parce qu’ils n’ont pas besoin de financer la recherche initiale, les essais cliniques coûteux ou la publicité massive. Ils reproduisent simplement une molécule dont le brevet a expiré. Leur coût principal est la fabrication, ce qui explique pourquoi leur prix chute dès qu’il y a plusieurs producteurs.

Les génériques sont-ils aussi efficaces que les médicaments de marque ?

Oui. Les autorités sanitaires, comme la FDA aux États-Unis ou l’ANSM en France, exigent que les génériques soient bioéquivalents : ils doivent libérer la même quantité de principe actif dans le sang, à la même vitesse, que le médicament d’origine. Les études montrent qu’ils ont le même effet thérapeutique dans plus de 99 % des cas.

Pourquoi les laboratoires de marque s’opposent-ils aux génériques ?

Parce que les génériques réduisent leurs profits. Quand un médicament de marque perd son brevet, ses ventes peuvent chuter de 80 % en quelques mois. Pour compenser, certains utilisent des tactiques comme les paiements à retardement, le product hopping ou les génériques autorisés - pour ralentir la concurrence.

Le système de négociation américain nuit-il aux génériques ?

Il peut le faire, si les prix des médicaments de marque sont fixés avant l’arrivée des génériques. Les fabricants de génériques doivent alors vendre à un prix encore plus bas, ce qui peut les rendre non rentables. La loi EPIC propose de corriger cela en attendant l’arrivée des génériques avant de négocier.

Quel pays a le meilleur système de négociation basé sur la concurrence générique ?

Le Canada, avec son modèle de prix maximum ajustable selon le nombre de génériques, est souvent cité comme le plus efficace. Il encourage la concurrence sans bloquer l’entrée des nouveaux fabricants. La France et l’Allemagne ont aussi des systèmes solides, mais moins dynamiques.

1 Comment

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    Noé García Suárez

    novembre 21, 2025 AT 04:06

    La concurrence générique n’est pas juste un mécanisme économique - c’est une forme de justice sanitaire. Quand tu regardes les chiffres, tu réalises que le système de santé n’a jamais été conçu pour maximiser les profits des laboratoires, mais pour garantir l’accès. Les 97 % de baisse de prix ? Ce n’est pas un accident. C’est la preuve que la régulation bien conçue peut démanteler les monopoles sans tuer l’innovation. La question n’est pas « est-ce que ça marche ? » mais « pourquoi certains pays refusent-ils de l’appliquer ? »

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