Droit des brevets et génériques : comment les brevets protègent l'innovation pharmaceutique
déc., 24 2025
Les brevets pharmaceutiques ne sont pas là pour empêcher les médicaments bon marché. Ils sont là pour permettre que ces médicaments existent un jour. Sans eux, aucune entreprise n’investirait des milliards pour développer un nouveau traitement. Mais une fois le brevet expiré, les génériques entrent en scène - et changent tout.
Comment un brevet protège réellement une innovation
Un brevet pharmaceutique donne à une entreprise le droit exclusif de vendre un médicament pendant 20 ans à compter de la date de dépôt. En théorie, c’est clair. En pratique, la réalité est plus complexe. La plupart des médicaments mettent 10 à 12 ans à être approuvés par les autorités sanitaires. Cela signifie que, quand un médicament arrive enfin sur le marché, il n’a plus que 8 à 10 ans pour générer des profits avant que les génériques ne le copient.
Pour compenser cette perte de temps, la loi américaine Hatch-Waxman de 1984 a introduit une extension de brevet : jusqu’à 5 ans supplémentaires pour compenser les délais d’approbation par la FDA. Ce n’est pas une faveur. C’est une nécessité économique. Le coût moyen pour développer un nouveau médicament est d’environ 2,6 milliards de dollars. Sans cette période de monopole, personne ne prendrait le risque.
Le système qui permet aux génériques d’exister
Avant 1984, les fabricants de génériques ne pouvaient même pas commencer à développer une version générique tant que le brevet n’était pas expiré. Cela retardait les médicaments bon marché de plusieurs années. La loi Hatch-Waxman a changé ça. Elle a créé un chemin légal pour que les génériques puissent commencer leur travail avant l’expiration du brevet.
Comment ? Grâce à la certification Paragraph IV. Un fabricant de générique peut déclarer à la FDA qu’un brevet est invalide ou qu’il n’est pas enfreint. C’est une déclaration audacieuse. Si l’entreprise originale décide de poursuivre en justice, une pause de 30 mois s’applique automatiquement à l’approbation du générique - même si le brevet est probablement nul. C’est un levier puissant. Pour les grandes entreprises, c’est un moyen de gagner du temps. Pour les génériques, c’est un risque : ils investissent des millions dans la recherche, et peuvent se retrouver bloqués pendant deux ans.
Mais il y a une récompense : le premier générique à réussir une telle contestation bénéficie d’une exclusivité de 180 jours. Pendant cette période, aucun autre générique ne peut entrer sur le marché. C’est une incitation énorme. En 2023, près de 97 % des demandes de génériques utilisaient cette voie.
Les génériques : une révolution silencieuse
En 2022, les génériques représentaient 91 % de toutes les ordonnances aux États-Unis, mais seulement 24 % des dépenses totales en médicaments. Ils économisent aux patients et aux systèmes de santé environ 373 milliards de dollars par an. Un médicament générique coûte en moyenne 80 à 85 % moins cher que sa version de marque.
Prenons l’exemple de l’ibuprofène. Quand le brevet de Brufen a expiré dans les années 1980, des versions génériques sont apparues. Les prix ont chuté. Les gens ont pu acheter un anti-inflammatoire efficace pour quelques cents. Aujourd’hui, personne ne se souvient du prix original. C’est exactement ce que le système est censé faire : rendre les traitements accessibles après avoir récompensé l’innovation.
Prozac, le célèbre antidépresseur d’Eli Lilly, a perdu 70 % de sa part de marché et 2,4 milliards de dollars de chiffre d’affaires annuel aux États-Unis dès que son brevet a expiré en 2001. Ce n’était pas une catastrophe pour les patients. C’était un succès du système.
Les pièges : « evergreening » et tricheries légales
Malgré son efficacité, le système est vulnérable à des manœuvres. L’« evergreening » - ou « verdissement » des brevets - consiste à déposer des brevets secondaires sur des variations mineures : une nouvelle forme de comprimé, un nouveau dosage, un nouvel excipient. Ce n’est pas de l’innovation. C’est de la manipulation.
Humira, le traitement contre l’arthrite de AbbVie, a accumulé 241 brevets sur 70 familles différentes. Cela a retardé l’entrée des biosimilaires aux États-Unis jusqu’en 2023 - alors que l’Europe les acceptait depuis 2018. Ce n’est pas un hasard. C’est une stratégie. Et elle fonctionne. La FDA ne peut pas refuser un brevet juste parce qu’il est minime. Elle doit le valider s’il remplit les critères techniques.
Le « product hopping » est un autre piège : une entreprise retire un médicament de la vente pour le remplacer par une version légèrement modifiée, souvent avec un nouveau brevet. Les patients sont contraints de passer à la nouvelle version, et les génériques ne peuvent pas entrer tant que le nouveau brevet est actif. La loi CREATES de 2022 a tenté de bloquer cette pratique en obligeant les entreprises à fournir des échantillons aux fabricants de génériques. Mais les litiges continuent.
Les paiements pour retarder les génériques : le « pay-for-delay »
Le pire abus ? Les accords secrets entre laboratoires innovants et fabricants de génériques. Parfois, une entreprise de marque paie un générique pour qu’il attende avant de lancer son produit. C’est ce qu’on appelle le « pay-for-delay ». La FTC estime que ces accords coûtent aux consommateurs américains 3,5 milliards de dollars par an.
En 2013, la Cour suprême a jugé ces accords illégaux s’ils sont « anticoncurrentiels ». Mais les entreprises ont appris à les cacher. Elles les appellent maintenant « accords de coopération » ou « partenariats de distribution ». Les autorités luttent encore pour les détecter. La proposition de loi Preserve Access to Affordable Generics and Biosimilars Act vise à les interdire totalement. Elle n’a pas encore été adoptée.
Et les biologiques ? Un nouveau terrain de bataille
Les médicaments biologiques - comme les traitements contre le cancer ou les maladies auto-immunes - sont plus complexes que les molécules chimiques. Ils ne peuvent pas être copiés exactement. On parle alors de « biosimilaires ». Leur entrée sur le marché est encore plus lente.
En 2017, la cour d’appel fédérale a rendu une décision qui a tout bouleversé : elle a rejeté la procédure « patent dance » prévue par la loi BPCIA. Cette procédure permettait aux entreprises de discuter des brevets avant de se lancer dans des procès. Sans elle, les litiges sont devenus plus longs, plus coûteux, et plus imprévisibles. Les biosimilaires sont encore rares aux États-Unis. En Europe, ils sont plus courants. Pourquoi ? Parce que le système est plus simple.
Le futur : entre transparence et pression
Les brevets ne sont pas des monopoles éternels. Ils sont des incitations temporaires. Leur but est de créer une innovation, puis de la libérer. Le système Hatch-Waxman a fonctionné pendant 40 ans. Il a permis l’arrivée de plus de 32 000 génériques aux États-Unis. Il a sauvé des vies en rendant les traitements abordables.
Mais les pressions augmentent. Les prix des médicaments ont atteint 621 milliards de dollars en 2022 - soit 22 % de tous les dépenses de santé américaines. Les patients paient de plus en plus cher. Les gouvernements cherchent à réformer. Les brevets secondaires sont de plus en plus contestés. Les procédures d’annulation de brevets (IPR) sont utilisées par les génériques pour les annuler avant même qu’ils n’entrent sur le marché.
Le défi n’est pas de supprimer les brevets. C’est de les rendre plus justes. Moins de tricheries. Moins de retards artificiels. Plus de transparence. Le système peut encore fonctionner - mais seulement si les règles sont appliquées avec rigueur.