Différences entre les informations pour les patients et celles pour les professionnels de santé : les étiquettes qui comptent
déc., 20 2025
Quand le mot « diabète » ne veut pas dire la même chose pour vous et votre médecin
Vous avez reçu votre dossier médical en ligne. Vous voyez écrit : « DM mal contrôlé ». Vous vous demandez : « C’est moi qui suis mauvais ? » Votre médecin, lui, voit juste le code E11.9 dans son système. Ce n’est pas une erreur. C’est une faille de communication vieille de décennies, et elle coûte cher - en santé, en temps, et en confiance.
Depuis les années 2010, les systèmes de santé aux États-Unis et en Europe ont commencé à comprendre que les mots utilisés dans les dossiers médicaux ne parlent pas la même langue à tout le monde. Pour les professionnels, ce sont des codes précis, des abréviations standardisées, des termes techniques. Pour vous, ce sont des phrases qui vous font peur, vous confondent, ou vous font vous sentir coupable. Cette fracture entre les étiquettes médicales et l’expérience vécue est devenue un enjeu central de la qualité des soins.
Comment les médecins décrivent votre maladie - et pourquoi ça ne vous parle pas
Les professionnels de santé utilisent des systèmes de codage rigoureux pour documenter ce qui se passe dans votre corps. Le plus connu ? L’ICD-10, une liste de plus de 70 000 codes pour les maladies. Si vous avez un diabète de type 2, votre médecin note « E11.9 » - pas « j’ai soif tout le temps » ou « je suis épuisé après avoir mangé ». Il utilise aussi les codes CPT pour les actes médicaux : « 99213 » pour une consultation de suivi, pas « j’ai parlé avec Marie pendant 15 minutes pour voir comment elle allait ».
Ces codes sont indispensables pour la facturation, la recherche, et la gestion des hôpitaux. Mais ils sont conçus pour les machines, pas pour les humains. Un patient sur deux ne reconnaît pas les termes médicaux les plus courants. Selon une étude de 2019, 42 % des patients pensent que « hypertension » signifie « stress », et 61 % ne savent pas ce que « colite » veut dire. Quand votre médecin écrit « metformin 500 mg BID », vous voyez « ces pilules blanches que je prends avec le déjeuner ».
Comment vous, patient, décrivez votre maladie - et pourquoi ça ne rentre pas dans les dossiers
Votre expérience, elle, n’a pas de code. Vous ne dites pas « j’ai une glycémie à jeun supérieure à 126 mg/dL ». Vous dites : « Je me lève la nuit pour uriner », « Je perds du poids sans essayer », « Je n’ai plus d’énergie pour jouer avec mes enfants ». Ces phrases sont riches, humaines, et cruciales - mais elles ne rentrent pas dans les champs prédéfinis des systèmes informatiques comme Epic ou Cerner.
Ces logiciels sont optimisés pour la rapidité et la facturation. Ils demandent des cases à cocher, des menus déroulants, des codes. Votre récit, lui, est une histoire. L’AHIMA, l’association des professionnels de l’information médicale, appelle ça « l’histoire du patient » - et insiste sur le fait que c’est « de l’information humaine », pas juste des données. Mais dans la plupart des hôpitaux, cette histoire est résumée, traduite, ou carrément effacée pour faire place aux codes.
Le fossé entre les deux langues : des conséquences réelles
Quand les mots ne se parlent pas, les erreurs arrivent. Un patient du forum PatientsLikeMe a écrit en mai 2023 : « Mon médecin a noté “DM mal contrôlé”. J’ai cru que c’était une critique personnelle. J’ai pensé que j’étais un mauvais patient. » Il ne savait pas que « DM » voulait dire « diabète ». Cette confusion, elle, est courante. Une enquête de l’American Medical Association en 2022 a montré que 57 % des patients se sentent perdus face aux termes médicaux dans leurs dossiers. Et 32 % ont évité de revenir chez le médecin parce qu’ils ne comprenaient rien.
Côté professionnel, c’est aussi fatigant. Selon une enquête Medscape en 2023, 64 % des médecins passent entre 15 et 30 minutes par consultation à expliquer des mots comme « hypertension », « hyperlipidémie », ou « néphropathie ». Le temps moyen d’une visite ? 15,7 minutes. Il n’y a pas assez de temps pour tout traduire. Et pourtant, cette traduction est vitale. Le Dr Thomas Bodenheimer, professeur émérite à l’Université de Californie, affirme que 30 à 40 % des erreurs de médication viennent de cette incompréhension.
Comment les hôpitaux commencent à réparer cette brèche
Heureusement, tout n’est pas perdu. Depuis 2010, le mouvement OpenNotes a révolutionné la façon dont les patients accèdent à leurs dossiers. À Kaiser Permanente, où 2,7 millions de patients peuvent lire leurs notes médicales, les erreurs de compréhension ont baissé de 27 %, et l’observance des traitements a augmenté de 19 %. Pourquoi ? Parce qu’ils ont changé les mots.
Le Mayo Clinic a créé des modèles dans son système informatique qui traduisent automatiquement les termes techniques en langage simple. « Myocardial infarction » devient « crise cardiaque ». « Hyperglycémie » devient « taux de sucre trop élevé ». Résultat ? Une réduction de 38 % de la confusion chez les patients. Ce n’est pas de la simplification - c’est de la clarté.
Les normes évoluent aussi. L’ICD-11, adopté en 2022, inclut pour la première fois des descriptions compréhensibles pour les patients, en plus des codes médicaux. Le standard FHIR, utilisé par 78 % des grands systèmes de santé aux États-Unis, permet d’afficher deux versions d’un même document : une pour le médecin, une pour vous.
Le rôle des professionnels de l’information médicale : les traducteurs invisibles
Derrière chaque dossier bien fait, il y a un professionnel de l’information médicale (HIM). Ce ne sont pas des médecins, ni des infirmiers. Ce sont des experts en codage, en transcription, en confidentialité. Ils passent plus de 1 200 heures à apprendre à traduire entre les deux mondes : le langage des codes et le langage des humains.
Leur travail est invisible, mais essentiel. Ils s’assurent que votre « douleur thoracique » est bien codée en « R07.9 » pour la facturation, mais qu’elle apparaît comme « j’ai mal à la poitrine » dans votre dossier patient. Ils appliquent la méthode « teach-back » : ils vous demandent de répéter ce que vous avez compris. Une étude publiée dans JAMA Internal Medicine en 2018 a montré que cette méthode réduit les erreurs de 45 %.
Leur formation est certifiée par CAHIIM. Ils connaissent la loi HIPAA, les exigences de CMS, et les normes de précision : 95 % de précision pour que votre dossier soit payé. Et pourtant, ils sont souvent les seuls à comprendre à la fois le code et la personne.
Le futur : l’intelligence artificielle peut-elle faire la traduction ?
Google Health a lancé Med-PaLM 2 en mai 2023. Ce modèle d’intelligence artificielle peut traduire des notes médicales en langage simple avec 72,3 % de précision. Ce n’est pas encore assez - il faut 95 % pour être utilisé en clinique. Mais c’est un début.
L’American Medical Informatics Association prédit qu’en 2027, 60 % des systèmes de dossiers médicaux électroniques intégreront une traduction en temps réel. Imaginez : vous ouvrez votre portail patient, et chaque terme technique est automatiquement remplacé par une phrase claire. « Hypertension » → « tension artérielle élevée ». « Atherosclerosis » → « artères bouchées ». Ce n’est pas de la simplification excessive. C’est de l’équité.
La loi 21st Century Cures, entrée en vigueur en 2021, oblige les hôpitaux à vous donner accès à vos notes sans les modifier. Ce n’est pas un cadeau. C’est une obligation. Et avec 89 % des hôpitaux américains qui partagent maintenant vos notes - contre 15 % en 2010 - la pression pour les rendre compréhensibles ne fera que croître.
Que pouvez-vous faire aujourd’hui ?
Vous n’attendez pas que la technologie fasse tout. Voici trois choses simples que vous pouvez faire dès maintenant :
- Demandez la traduction : « Pouvez-vous me dire ce que cela veut dire en termes simples ? »
- Utilisez la méthode « teach-back » : « Pour être sûr que j’ai bien compris, je vais vous répéter ce que vous venez de dire. »
- Lisez vos notes : Si vous ne comprenez pas un mot, notez-le. Posez la question à votre prochaine visite. Votre confusion est une information précieuse pour votre équipe soignante.
La santé ne se mesure pas seulement à la précision des codes. Elle se mesure à la clarté des mots. Et vous avez le droit de comprendre ce qui vous arrive - pas seulement d’être classé dans un système.
Les grandes étapes de l’évolution des étiquettes médicales
- 1996 : HIPAA protège la confidentialité des données, mais ne parle pas de compréhension.
- 2001 : L’Institute of Medicine révèle que 80 % des erreurs médicales graves viennent d’une mauvaise communication.
- 2010 : OpenNotes commence à partager les notes médicales avec les patients.
- 2015 : Tous les hôpitaux américains doivent passer à l’ICD-10-CM/PCS.
- 2016 : La loi 21st Century Cures oblige les hôpitaux à donner accès aux notes.
- 2022 : L’ICD-11 inclut des descriptions pour patients.
- 2023 : 89 % des hôpitaux partagent les notes avec les patients.
- 2024 : Plus de 55 millions de patients ont accès à leurs notes médicales.
La révolution n’est pas encore terminée. Mais elle est en marche. Et elle passe par une seule chose : le droit de comprendre.